Depuis des décennies, le marché israélien du lait et des œufs fonctionne sous un régime unique : un système de prix administrés par l’État, encadré par la loi sur la planification de la production (חוק תכנון משק החלב והביצים). Officiellement, ce dispositif vise à garantir la sécurité alimentaire, stabiliser les revenus des agriculteurs et éviter les pénuries. En réalité, il a créé un marché verrouillé, où quelques acteurs dominants concentrent l’essentiel du pouvoir économique — un système que de nombreux producteurs décrivent aujourd’hui comme un véritable cartel réglementé.
La réforme portée par le gouvernement s’attaque au cœur de ce mécanisme : le prix cible du lait cru, fixé chaque année par décret, qui constitue le tarif minimum garanti aux éleveurs. Ce prix est calculé selon une formule étatique intégrant les coûts d’alimentation, d’énergie, de main-d’œuvre et d’investissement. La réforme prévoit une baisse progressive de ce prix cible, combinée à une ouverture accrue aux importations, censée faire baisser les prix pour les consommateurs. Mais sur le terrain, l’effet est inversement proportionnel à la taille des exploitations.
Ce sont d’abord les petites fermes familiales des moshavim qui vacillent : en Galilée, dans le Golan, le Néguev ou autour de Kiryat Shmona, les marges sont déjà fragiles. La baisse du prix administré transforme immédiatement leur production en activité déficitaire. À l’inverse, les grandes exploitations robotisées — souvent liées à de puissants kibboutzim agro-industriels — peuvent absorber le choc grâce à leur productivité et à leurs volumes.
Dans ce système verrouillé par la loi, les vrais gagnants demeurent inchangés : Tnuva, Strauss et Tara. Ces trois groupes concentrent déjà l’écrasante majorité de la transformation et de la distribution laitière en Israel. La réforme, loin de casser le monopole, renforce mécaniquement leur pouvoir : plus les petites fermes disparaissent, plus ces groupes deviennent indispensables, tant pour l’achat du lait que pour l’approvisionnement du marché. Le même mécanisme est à l’œuvre sur le marché des œufs, également sous quotas étatiques.
Témoignage
« On appelle ça un marché régulé, mais sur le terrain, c’est un système verrouillé », témoigne Avi L., éleveur depuis 22 ans au moshav Sdé Eliezer, dans la vallée de la Houla. « Avec la nouvelle baisse du prix cible, je perds 15 à 20 agorot par litre. En parallèle, l’État nous impose des investissements colossaux pour la mise aux normes. J’ai 58 vaches. Je ne peux pas survivre à ça. Les grosses fermes ultra-robotisées, oui. Mais nous, non. Et quand nous fermerons, Israel dépendra des importations. Les prix ne baisseront pas. Ils monteront. »
Les organisations agricoles tirent désormais la sonnette d’alarme : en fragilisant les exploitations indépendantes, la réforme affaiblit la souveraineté alimentaire, accentue la dépendance aux importations et expose le pays aux crises internationales, qu’il s’agisse de ruptures logistiques, de hausses mondiales des matières premières ou de tensions géopolitiques.
Officiellement, le gouvernement promet une « concurrence renforcée ». Officieusement, sur le terrain, beaucoup y voient surtout la consolidation d’un monopole sous couvert de réforme, où la loi, censée protéger les producteurs et les consommateurs, finit par servir les intérêts de quelques géants industriels. Et dans ce jeu déséquilibré, ce sont les petits éleveurs — colonne vertébrale historique du monde agricole israélien — qui risquent de disparaître les premiers.
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