Politique

Affaire Sde Teman : on vous explique tout

L’affaire Sdé Teiman dépasse désormais le cadre d’un simple procès disciplinaire : elle pose la question du rapport entre éthique, armée et justice en Israël

5 minutes
4 novembre 2025

ParJohanna Afriat

Affaire Sde Teman : on vous explique tout
L'ex-procureure militaire en chef, Yifat Tomer Yerushalmi Photo : Flash90

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Deux affaires distinctes mais étroitement liées ébranlent aujourd'hui l’armée et la justice israéliennes. D’un côté, des soldats de réserve sont accusés d’avoir maltraité un prisonnier du Hamas détenu dans une base militaire du sud d’Israël. De l’autre, de hauts responsables du parquet militaire sont soupçonnés d’avoir falsifié des documents et transmis illégalement des preuves de ces violences à la presse, notamment via une vidéo. Ces deux volets — l’un judiciaire, l’autre institutionnel — s’entremêlent désormais dans ce que la presse appelle l’affaire Sdé Teiman, du nom du camp militaire concerné.

Le point de départ : des violences présumées contre un prisonnier du Hamas

Les faits remontent à juillet 2024, dans un centre de détention militaire du sud d’Israël.
Selon l’acte d’accusation, cinq soldats de la “Force 100” auraient violé un détenu palestinien, membre présumé de la police du Hamas, et exercé d'autres violences sur lui, alors qu’il était menotté et aveuglé.

Le prisonnier, décrit par les services de renseignement israéliens comme un terroriste impliqué dans des activités hostiles mais non dans le massacre du 7 octobre, représentait selon eux « un risque élevé » de récidive en cas de libération.

Une vidéo compromettante tournée dans le camp et révélée en août 2024 aurait montré une partie des sévices. Elle constitue aujourd’hui la pièce centrale du dossier judiciaire toujours en cours.

Une fuite de documents qui fait vaciller le parquet militaire

Après la diffusion de la vidéo, des soupçons ont émergé : qui avait transmis ces images confidentielles à la presse ? Le parquet militaire a alors affirmé devant la Haute Cour de justice avoir mené une enquête interne « sans parvenir à identifier le responsable de la fuite ».

Mais un rebondissement spectaculaire est survenu un mois plus tard : lors d’un test polygraphique de routine du Shin Bet, une employée du parquet aurait laissé entendre que la fuite avait été approuvée en interne, voire validée par la procureure militaire en chef, Yifat Tomer-Yerushalmi.

Ces révélations ont conduit le procureur général d’Israël à ordonner l’ouverture d’une enquête pénale pour fuite d’informations et fausse déclaration sous serment devant la Haute Cour.

La chute spectaculaire de la procureure militaire en chef

Face à la gravité des soupçons — abus de fonction, fraude, obstruction à la justice et divulgation d’informations confidentielles —, la procureure militaire en chef a été suspendue puis démise de ses fonctions vendredi.

Peu après son éviction, Yifat Tomer-Yerushalmi a disparu dimanche pendant plusieurs heures, laissant derrière elle une lettre d’adieu. Son véhicule a été retrouvé sur une plage de Tel-Aviv, déclenchant une vaste opération de recherche. Elle a finalement été localisée saine et sauve à Herzliya, mais son téléphone portable — potentielle pièce à conviction — n’a pas été retrouvé. Arrpetée, elle est aujourd'hui suspectée d'avoir mis en scène une tentative de suicide pour se débarrasser notamment de son téléphone portable et des données compromettantes qu'il contiendrait.

Une crise institutionnelle sans précédent

L’enquête sur cette fuite est menée sous la supervision de la conseillère juridique du gouvernement, Gali Baharav-Miara, et de la police israélienne.
Mais le ministre de la Justice Yariv Levin conteste cette supervision, arguant d’un conflit d’intérêts, puisque la fausse déclaration supposée à la Cour suprême aurait transité par le parquet général, dirigé par Baharav-Miara elle-même.
Il demande qu’un juge indépendant, Asher Kola, soit nommé à la tête de l’enquête — une exigence que la conseillère juridique juge « illégale et politiquement motivée ».

Pourquoi cette affaire est-elle si sensible ?

L’affaire Sdé Teiman cristallise une profonde fracture au sein de l’opinion israélienne.
Certains estiment que les poursuites contre les soldats sont nécessaires pour préserver la moralité et la crédibilité d’Israël, y compris face à la communauté internationale. D’autres dénoncent une « chasse aux sorcières » contre des militaires engagés dans des conditions extrêmes depuis le 7 octobre, et perçoivent l’affaire comme une trahison des institutions à l’égard de Tsahal.

Au-delà du débat moral, la crise met en lumière une question de fond : la confiance du public dans l’armée et dans son système judiciaire. Pour tâcher d'enrayer cette crise de confiance, le ministre de la Défense Israël Katz a nommé ce mardi Itay Ophir comme nouveau procureur militaire en chef, avec pour mission explicite de « réhabiliter et assainir » le parquet militaire.

Où en est-on aujourd’hui ?

  • Le procès des cinq soldats accusés de mauvais traitements se poursuit devant un tribunal militaire. Il est cependant compromis après un développement inattendu : le détenu ayant subi les violences présumées et seul témoin à charge, a été libéré dans le contexte de l'accord de cessez-le-feu et renvoyé à Gaza. Dans ces conditions, de nombreuses voix dans la classe politique réclament l'annulation pure et simple des poursuites contre les soldats.

  • L’enquête pénale sur la fuite de la vidéo et la fausse déclaration est toujours en cours.

  • Le chef d’état-major a réuni les hauts responsables du parquet militaire, leur exprimant à la fois son soutien et la nécessité d’un examen en profondeur de leurs pratiques.

    En résumé

L’affaire Sdé Teiman dépasse désormais le cadre d’un simple procès disciplinaire : elle pose la question du rapport entre éthique, armée et justice en Israël, à un moment où le pays est plongé dans un conflit prolongé et où chaque institution est scrutée pour sa capacité à rendre des comptes.