La journaliste vedette de la chaine israélienne N12, Yonit Levy, est allée à Paris interviewer le Président Emmanuel Macron.
Lors de l'entretien diffusé ce jeudi soir, le Président français a tenté d'expliquer pourquoi il tenait absolument à reconnaitre un Etat palestinien, il est revenu sur l'antisémitisme en France et son engagement à lutter contre un Iran nucléaire.
La poursuite de la guerre à Gaza
Pour lui, Israël a obtenu d'impressionnants résultats sur le terrain militaire mais il considère que la poursuite des opérations comme celle lancée dans Gaza Ville est une ''grande erreur''. Le Président français a expliqué que seule une perspective politique pourrait permettre de résoudre le conflit.
"Nous reconnaissons le droit d'Israël à se défendre, mais quand Israël a commencé à mener une sorte de guerre permanente à Gaza, nous avons exprimé notre désaccord de manière respectueuse mais très claire : nous avons dit qu'il était parfaitement équitable, normal et légitime de neutraliser les terroristes pour restaurer votre crédibilité et votre dissuasion dans la région, pour garantir qu'il n'y ait pas un autre 7 octobre. Mais mener une guerre gigantesque à Gaza, c'est l'inverse de l'efficacité'', a affirmé Macron.
"Si je dois résumer notre position aujourd'hui, nous avons été très clairs concernant la condamnation de l'attaque terroriste, nous considérons le Hamas comme une organisation terroriste qui doit être démantelée, notre priorité absolue est la libération de tous les otages. Israël a obtenu des résultats sécuritaires exceptionnels et a restauré sa crédibilité et sa dissuasion dans la région contre le Hezbollah, le Hamas et les terroristes dirigeants de la région. Mais mener ce type d'opérations à Gaza n'est pas efficace, c'est même l'inverse."
Pour Emmanuel Macron, la guerre que mène Israël à Gaza est un échec: "Je dois dire qu'il s'agit d'un échec, parce qu'il y a aujourd'hui le même nombre de combattants du Hamas qu'il y en avait il y a deux ans".
Puis il a encore accentué sa critique: "Vous causez tellement de morts et de victimes civiles, que vous détruisez complètement l'image et la crédibilité d'Israël non seulement dans la région mais dans l'opinion publique partout. A cela s'ajoute la déclaration et le vote à la Knesset sur la Cisjordanie. Le vote en faveur du retour de la colonisation et de l'annexion de la Cisjordanie, ce que la Knesset a fait en juillet, n'a aucun rapport avec le Hamas. Nous devons reconnaître le droit légitime du peuple palestinien à un État et si vous ne donnez pas de perspective politique, vous les remettez en fait entre les mains de ceux qui n'offrent qu'une approche sécuritaire, une approche agressive."
La reconnaissance d'un Etat palestinien
Le Président français a maintenu que la reconnaissance d'un Etat palestinien était une manière de disqualifier le Hamas, ce à quoi Yonit Lévy lui a rétorqué: ''Mais le Hamas a salué votre décision''.
Macron a alors déclaré: "Par pur cynisme, pur cynisme. Mais je ne veux pas leur laisser le monopole d'une telle demande, parce que ce n'est pas correct. Ce qu'ils veulent, c'est vous détruire. Mais si nous supposons que l'objectif d'un État palestinien sera toujours de détruire Israël - comment voulez-vous construire un avenir durable ? Il n'y a pas de moyen."
Sur la question du timing choisi pour la reconnaissance d'un Etat palestinien et du fait que beaucoup en Israël, y compris à gauche, estiment que le moment est mal choisi, le Président français a répondu: "Je comprends et je respecte cela complètement. Nous aurions probablement dû le faire avant, avant le 7 octobre, pour être honnête. Mais ma position est que maintenant, tout d'abord, l'approche de votre gouvernement, principalement de certains ministres, est de détruire la possibilité d'une solution à deux États. Et je pense que maintenant il y a une urgence, surtout après le vote sur l'encouragement à la reprise de la colonisation en Cisjordanie, et parce que je pense que c'est probablement la dernière minute avant que la proposition de deux États ne devienne complètement impossible."
Le Président français rejette totalement l'idée qu'une reconnaissance d'un Etat palestinien serait une récompense pour le 7 octobre: "Si on veut briser ce cercle cruel, il faut ouvrir une nouvelle voie vers l'avant. C'est ma position. Sinon, quelle est votre solution ? Si nous voulons briser ce cercle, nous devons dire que le Hamas doit être détruit et démantelé. L'approche militaire était de frapper les dirigeants de haut niveau, mais ce n'est pas suffisant. Et nous voulons offrir une perspective politique à ces millions de Palestiniens dans le cadre de laquelle, sous les conditions que nous leur demandons, nous exigerons un nouveau programme éducatif, une dé-radicalisation, mais aussi la reconnaissance d'Israël et de son droit à exister."
Macron s'élève aussi contre l'idée d'une annexion par Israël de la Judée-Samarie car pour lui cette question n'a rien à voir avec la guerre contre le Hamas: "Je pense que c'est à la fois injuste et irresponsable. C'est injuste parce que la Cisjordanie n'a aucun rapport avec le Hamas. Et quand les gens commencent à dire que 'notre réponse, que ce soit à la reconnaissance ou à la situation, sera de reconstruire les colonies en Cisjordanie' - c'est la meilleure preuve qu'il s'agit d'un projet politique dont le but n'est pas de démanteler le Hamas, mais de tuer la possibilité de deux États et de nier le droit du peuple palestinien à vivre en paix dans la région. Et je pense que c'est complètement inefficace, même pour votre État : c'est la pire approche sécuritaire."
Le Président français propose la mise en place d'une force internationale sous l'égide de l'ONU pour s'assurer de la démilitarisation du Hamas et garantir la sécurité dans la Bande de Gaza. ''Nous pouvons aussi accélérer et augmenter la formation continue de policiers et de forces de sécurité par les autorités palestiniennes, avec un contrôle clair par Israël pour s'assurer que tout le monde se sente à l'aise, et dans le but de sécuriser l'endroit.", a-t-il encore suggéré.
Des sanctions économiques contre Israël
Emmanuel Macron s'est, par ailleurs, déclaré en faveur d'une discussion sur des sanctions économiques contre Israël: ''Après la nouvelle phase dans la ville de Gaza, qui est une grave erreur, il est clair qu'un nouveau débat s'ouvrira en Europe sur l'imposition de sanctions - d'abord des sanctions ciblées sur des figures clés qui soutiennent les colonies et ainsi de suite. Car à mes yeux c'est une grave erreur, c'est complètement inacceptable, et cela ne correspond absolument pas au droit international, et je ne suis pas pour un double standard. Vous avez eu tellement de succès, maintenant il faut ouvrir une nouvelle phase."
"Mais avant d'ouvrir une nouvelle phase, si on parle de sanctions économiques, alors on peut dire que le Hamas attendra simplement patiemment et l'Europe forcera Israël à arrêter la guerre et ils n'auront pas besoin de renoncer aux otages.", l'a alors repris la journaliste Yonit Lévy. Emmanuel Macron a balayé cette remarque: "Je suis désolé de dire cela, mais on ne peut pas dire cela : le Hamas devient la raison pour laquelle il ne faut jamais critiquer votre Premier ministre et ses ministres, même quand ils prennent des décisions folles. Je suis à 0% avec vous quand votre gouvernement dit que la réponse est de planifier de nouvelles colonies en Cisjordanie ou de déraciner des populations à Gaza."
L'antisémitisme en France
Concernant l'antisémitisme en France, Emmanuel Macron a redit son engagement à lutter contre ce fléau mais il a rejeté l'idée qu'il pourrait être lié à sa décision de reconnaitre un Etat palestinien. Pour appuyer son propos il a fait valoir que cette vague d'antisémitisme existait dans d'autres pays qui n'avaient pas annoncé leur soutien à cette reconnaissance.
Il est également revenu sur la lettre de Binyamin Netanyahou à ce sujet en disant qu'il avait été vexé et en estimant que le Premier ministre israélien a permis de justifier l'antisémitisme: "Tout d'abord, j'ai été blessé. Et je pense que c'est une énorme erreur de la part de votre Premier ministre, car il donne une légitimité à l'antisémitisme, il me l'impute, car c'était apparemment son objectif. Mais il n'y a aucune justification à l'antisémitisme - ni la reconnaissance, qui n'est pas liée à cela, ni quoi que ce soit d'autre. On peut ne pas être d'accord avec des gens qui soutiennent ce qui se passe à Gaza, mais c'est un débat dans une société ouverte et en démocratie. Rien ne justifie le rejet de personnes ou la haine envers elles du fait qu'elles sont juives."
Le nucléaire iranien
Emmanuel Macron a confirmé que le système Snapback de sanctions contre l'Iran serait appliqué: "Les dernières nouvelles que nous avons reçues des Iraniens ne sont pas sérieuses. La France a toujours été un acteur cohérent, clair et exigeant sur le dossier iranien. Et je pense que c'est très important pour votre État et votre peuple. Nous n'avons jamais sous-estimé le risque d'une bombe nucléaire en Iran, ni les capacités balistiques et l'instabilité régionale créée par les Iraniens, alors qu'ils ne fournissent aucun engagement clair. Oui, c'est une position européenne, et nous avons travaillé avec nos homologues britanniques et allemands. Nous activerons le mécanisme de sanctions, et tous l'adopteront."