Archive

Journée internationale des droits des femmes, quand le féminisme perd la boussole

13 minutes
10 mars 2025

ParIsraJ

Journée internationale des droits des femmes, quand le féminisme perd la boussole
Photo: Rachel A. Silberman

Désolé, votre navigateur ne supporte pas la synthèse vocale.

Par Eden Levi Campana

 

En France, dans le cadre de « la Journée internationale des droits des femmes », certaines ont été exclues d’une manifestation majeure parce que juives et militantes. Une fois encore, comme pour les évènements sportifs et culturels, la République a été impuissante. Ici on dissimule, là un bataillon de CRS, ailleurs des bus car les transports en commun sont trop dangereux pour la Communauté juive. Mais quel est l’avenir des juifs de France dans de telles conditions ? Quels espoirs, quand on punit l’exemplarité et que l’on récompense les voyous, les casseurs et les antisémites ? La veille, dans la nuit, on battait le pavé avec des appels à l’Intifada. Oui, la République a encore failli ce 8 mars, incapable de protéger ses citoyens juifs, autrement qu’en les reléguant en fin de cortège, encadrés par un important dispositif policier, contraints d’attendre, et de marcher trois heures après les autres. Ce 8 mars aurait dû être une journée d'union, une marche où chaque pas proclamait haut et fort les droits des femmes, une affirmation universelle de justice et d'égalité. Pourtant, ce fut un naufrage moral.

 

Derrière la bannière du « Collectif Nous Vivrons », une association fondée au lendemain des attaques du 7 octobre 2023, des figures politiques et intellectuelles de toutes sensibilités avaient pris place, présence tangible d'une unité qui transcende les clivages partisans. Parmi eux, les députés Caroline Yadan, Constance Le Grip et Jérôme Guedj, les sénateurs Rémi Féraud et Laurence Rossignol, des élus de premier plan comme Ariel Weil, Aurélie Assouline, Camille Vizioz Brami, de nombreuses personnalités à l’instar d’Alexandra Cordebard, Emmanuelle Wargon, Julia Layani, Déborah Wargon, Éléonore Slama, Marika Bret, Elsa Wolinski, Julia Layana, Flora Ghebali, Chochana Boukhobza, Shani Benalouid, Galina Elbaze, Delphine Horvilleur, Nathalie Riu-Guez et Mona Jafarian accompagnée de nombreuses militantes iraniennes membres du Collectif « Femme Azedi ». Etaient également présents sous le ciel bleu parisien « le Printemps Républicain », « la LICRA », « Les Citadelles », « Tous 7 Octobre », « Wizo France », « No Silence », « Truth », « le Collectif 7 octobre » et des dizaines d’autres organisations.

Photo: Rachel A. Silberman


Mais qu’a donc fait le « Collectif Nous Vivrons » pour mériter un tel sort ? Une faute impardonnable, exister. Exister alors que depuis des jours, il était directement menacé : « Notre responsabilité, en tant qu'organisateur de ce cortège qui vise à marquer le 8 mars pour défendre les droits des femmes juives, c'est d'assurer strictement la sécurité de toutes nos militantes… » précise Sarah Aizenman, chef d’entreprise, présidente et porte-parole du Collectif : « Cela fait une semaine que nous faisons l'objet de menaces et d'intimidations publiques sur les réseaux sociaux. Ça a commencé par l'appel d’Euro-Palestine et de Samidoun (qui soutient activement le Hamas), qui ont incité tous les participants à nous empêcher de marcher en nous repoussant, je cite, par la force du nombre. Ils avaient bien indiqué que la marche ne démarrerait pas tant que les fascistes sionistes seraient là. Donc il y a eu ces menaces publiques, relayées par certaines des organisations féministes. La préfecture a intercepté des messages de menaces sur les boucles de Telegram des organisations qui avaient vraiment envie d'en découdre. À partir de ce moment-là, nous avons accepté une protection policière. On nous a indiqué qu'on marcherait parce que la rue n'appartenait pas aux antisémites, que la République était de notre côté et qu'il fallait qu'on soit bien conscients du risque. Pour éviter tout débordement, on devait se soumettre à la protection des forces de l'ordre, qui d'ailleurs ont été exemplaires avec nous. Évidemment, j'aurais aimé qu'on chante, qu'on danse, que ce soit positif, que ce soit doux. Mais malheureusement, quand tu te bats pour lutter contre l'antisémitisme aujourd'hui en France, tu es parqué pendant trois heures, dans une rue adjacente, en attendant que ceux qui veulent ta peau puissent être dégagés par les flics. » « Être dégagés par les flics » au sens propre et figuré. Avouons notre gourmandise quand les antifas et les pro-palestiniens en surnombre ont commencé à saccager la rue. Ce fut une distribution de tartes savoureuses. Les matraques se sont abattues, généreusement. Un coup pour toi, un pour ton voisin. Chacun sa part, sans jaloux. Multipliée, doublée comme la manne. Sept arrestations tout de même. Dont une qui faisait suite à une agression contre des militants du « Collectif Nous Vivrons ».

Photo: Rachel A. Silberman


A ce stade, il convient de se demander pourquoi « cet empêchement de défiler » n’est pas qu’une anecdote factuelle ? D’abord cette privation de liberté est intolérable. Les juifs sont des citoyens comme les autres, sans doute plus respectueux que la plupart. Ensuite les valeurs défendues pendant cette marche nous touchent profondément. Comment les organisations juives pourraient abdiquer à l’approche de Pourim, qui justement célèbre la ruse et l'intelligence féminine ? Le judaïsme existait avant le féminisme moderne. En fait, le féminisme est le prolongement du judaïsme, sa conséquence, son aboutissement. Il est l'application des principes de justice (tzedek), de dignité (kavod habriot), de responsabilité (aretut).

Depuis la nuit des temps, depuis les premières lettres inscrites sur le parchemin, les femmes juives se dressent, avancent, écrivent, parlent, revendiquent. Myriam danse et chante après la traversée de la mer Rouge, Déborah juge et gouverne sous les palmiers d'Israël, Brouria enseigne la Torah aux hommes dans un monde où les femmes ne l'enseignent pas. Que dire d’Esther, une jeune femme juive, qui devient reine de Perse et sauve son peuple d'un décret d'extermination orchestré par Haman, le conseiller du roi Assuérus (Xerxès Ier) ? Et que dire de Rosalind Franklin (biophysique), Gerty Cori (biochimie), Gisèle Halimi (justice), Rita Levi-Montalcini (neurologie), Ada Yonath (chimie), Emma Lazarus (droits des immigrants), Judith Resnik (astronautique), Gloria Steinem (journalisme), Ruth Bader Ginsburg (justice), Hannah Arendt (philosophie), Nelly Sachs (littérature) ? Elles sont là, elles sont partout, elles sont invisibles parfois, elles sont incontournables toujours. Elles ont ouvert la voie, elles ont refusé le silence. Emma Goldman, la militante infatigable. Simone Veil, la survivante, celle qui a inscrit le droit à l'avortement dans la loi, celle qui, à l'Assemblée, debout face aux injures, n'a pas cédé, n'a pas flanché, n'a pas reculé. Et avec elle, avant elle, après elle, d'autres encore. Betty Friedan, celle qui a énoncé « le malaise dans la féminité », celle qui a brisé l'illusion du bonheur domestique, celle qui a réveillé l'Amérique endormie sous ses clichés. Gloria Steinem, celle qui a fait du féminisme une révolution populaire. Judith Butler, celle qui a ouvert des brèches dans la pensée. Elles sont légion, elles sont mille, elles sont infinies.

 

Le féminisme, dans sa racine, dans son essence, est un héritage juif, un appel juif, une injonction juive. Ce n'est pas une révolte, c'est une fidélité. Ce n'est pas une rupture, c'est une continuité. Ce n'est pas un caprice, c'est un commandement. Le 8 mars n'est pas une date étrangère, il est une étape de plus sur un chemin millénaire, il est une station supplémentaire sur une route que d'autres ont ouverte et qui murmurent : « Ne vous arrêtez pas. » Et elles n’ont pas l’intention de s’arrêter : « La Journée internationale des droits des femmes existait avant que ces organisations antisémites ne s'en emparent » nous dit Sarah Aizenman « et elle existera quand ces mouvements n'auront plus voix au chapitre. La question ne se pose pas de savoir si notre place est avec ces organisations. Notre place, est dans le combat pour la défense des droits des femmes. Comme le dit Aurore Bergé, le féministe, c'est un bloc. Tu n'es pas féministe le matin et tu n'es plus féministe l'après-midi parce que du coup, ça ne te convient plus exactement. »

Aurore Bergé justement, qui a exprimé son profond regret quant à l'exclusion de militantes engagées contre l'antisémitisme : « On ne peut pas passer sous silence le fait que certaines femmes aient été empêchées de manifester - parce que de facto, c'est ce qui s'est passé, elles n'ont pas pu aller jusqu'au bout, elles sont parties près de trois heures après les autres, elles ont subi des attaques", a déclaré la ministre de l'Égalité entre les femmes et les hommes.

 

Trois heures d’attente, what else ? Ce traitement n’a été infligé qu'aux juifs et à « Nemesis » un groupuscule d’extrême-droite, comme si la présence de ces collectifs juifs républicains, féministes et universalistes, justifiaient un amalgame absurde et infamant. Infamant, infamant, infamant, Il y avait de quoi dire sur l’infamant dans les cortèges du 8 septembre. Les « Femen » par exemple, grandes prêtresses d’un féminisme radical, torse nu, la peau marquée de drapeaux barrés de croix gammées (oy vaï). Elles se sont dressées, dans la Capitale du Pays des droits de l’Homme (et de la femme, cqfd), solennelles, hiératiques, avant d’exécuter, avec une gravité théâtrale, d’impeccables saluts nazis, scandant à l’unisson : « Heil Trump ! Heil Poutine ! »

En France, l’utilisation publique de la croix gammée est rigoureusement interdite par la loi mais que l’on se rassure. Ce n’était point un vrai salut nazi. C’est pourtant intelligible. Il fallait comprendre le contraire. Ce bras tendu, cette posture rigide, cet angle si scrupuleusement respecté, ce cri de ralliement… tout cela n’était qu’une subtile parodie, un brillant pastiche, un geste vidé de son essence et retourné contre ses instigateurs originels. Et qui oserait en douter ? Dans les annales du féminisme contemporain, nul nom ne brille d'un éclat aussi fulgurant que celui des « Femen ». Merveilleuses vestales d’une émancipation exacerbée, elles se dressent, invincibles et nues, contre l’hydre du patriarcat. Leur combat, leur foi, leur ferveur : tout concourt à faire d’elles les parangons d’une cause inattaquable, inébranlable, infaillible. Qui donc, sinon un misérable contempteur, oserait entrevoir dans leur croisade une main invisible qui, dans l’ombre, les façonne et les conduit ? Et pourtant, derrière les seins brandis comme des étendards, derrière le torse tatoué de slogans rageurs, un nom se chuchote : Viktor Sviatski. Ah ! Sviatski ! Le maître, le gourou, le mâle, l’oppresseur triomphant, le manipulateur infaillible, l’oracle cynique d’un temple dont il fut, à la fois, l’idole et le despote. Car enfin, n’a-t-il pas lui-même confessé, avec une candeur déconcertante, son dessein véritable ? « J’ai créé les Femen pour avoir des filles », confia-t-il dans un documentaire, le sourire aux lèvres, comme on avouerait une peccadille. « Que voulez-vous, le féminisme est une affaire trop grave pour être confiée aux femmes seules ! Elles sont soumises… » Oy vaï (bis).

 

Récapitulons. La nébuleuse violette du 8 mars se résumerait donc à des « Femen » et autres exhibitionnistes, brandissant fièrement leurs poils en étendard de leur émancipation, à des cheveux bleus, anneaux dans le nez, hurlant en chœur « Free Gaza », « Sionistes fascistes », « Israël assassin ». Et après ? Rien. Le vide. Un chaos de contradictions. Un #BalanceTonPorc… sauf s'il est casher. À quand un #MeToo-7.10 ? Nous l'attendons toujours, cette larme d'effroi féministe, depuis le 7 octobre. Des femmes ont été violées, torturées, massacrées, éventrées, humiliées, assassinées sous les acclamations. Trainées dans les rues, exhibées en trophées de guerre. Mais où étaient donc ces voix si promptes à s’enflammer contre l’oppression ? Nous attendons encore, leur compassion, après le viol d'une fillette de 12 ans – un peu trop juive. Au mieux, un silence glacial. Au pire, un négationnisme abject. Mais l'exemple vient d'en haut. L’ONU, ce phare inébranlable des droits des femmes n’est pas vraiment un modèle d’empathie pour les juives. Combien de temps pour reconnaître les crimes du festival Nova, de Be'eri, Kfar Aza, Nahal Oz, Nir Oz, Réïm ? Combien de temps à attendre ? À temporiser ? À analyser ? Cinq mois ! Cinq mois pour admettre ce que tout le monde savait déjà. Cinq mois pour reconnaître que l’indicible s’était produit. Cinq mois pour pondre un rapport, avant de l’enterrer. Cinq mois avant une confession timide : « Nous avons vu la vidéo, et nous avons compris. » Mais que fallait-il comprendre, sinon l’évidence ? Que fallait-il examiner, sinon l’horreur brute ? « La Journée internationale des droits des femmes » … sous l’égide de l’ONU, finalement il y a enfin une cohérence. Cette institution qui condamne Israël à la vitesse de l’éclair, mais avance avec des pincettes face aux monstres du Hamas. Qui juge avant d’enquêter, tranche avant d’entendre, accuse avant de réfléchir. Mais qu’attendre d’une organisation gangrenée par ses propres scandales, où les casques bleus eux-mêmes ont accumulé les exactions ? Des viols, des abus, des enfants nés de crimes impunis, du Congo à Haïti, du Kosovo à la Centrafrique.

Photo: Rachel A. Silberman


Alors oui, le « Collectif Nous Vivrons » a raison. Célébrons cette magnifique journée du 8 mars. Célébrons la force des femmes – du moins, celles que l’on veut bien voir. Célébrons l’indignation – du moins, lorsqu’elle sert la bonne cause de LFI et con-sorts. Célébrons la parole des victimes – sauf quand elles parlent en hébreu. Et lorsque l’ONU lèvera la voix pour clamer son attachement aux femmes du monde entier, gardons à l’esprit qu’il est des féminismes qui ont une géographie, des indignations qui ont une couleur, et des combats qui ont des angles morts. En attendant les femmes – et les hommes – juifs n’ont pas l’intention d’êtres des victimes. Ni d’une manière, ni d’une autre. Les différents collectifs présents à la marche vont continuer à mener les combats, à court ou à long termes. Ce n’est pas autre chose que nous propose « le Printemps Républicain », « la LICRA », « Les Citadelles », « Tous 7 Octobre », « Wizo France », « le Collectif 7 octobre », « No Silence », « Truth » et bien entendu le Collectif « Nous Vivrons » : « Nous lançons une fresque de l'antisémitisme qu'on a construite avec le CRIF et la LICRA. C'est une formation qu'on va faire circuler dans les écoles, auprès des syndicats sur le modèle de la fresque du climat. Nous, on est vraiment un groupe d'activistes. Notre marque de fabrique, ce sont les actions coups de poing, ce sont les actions de rue. Puisqu'on s'est fait la promesse de ne plus laisser le terrain et de ne plus laisser la rue aux extrêmes et aux antisémites. Mais on a aussi pleinement confiance que la lutte contre l'antisémitisme se mène aussi sur un temps long. »

 

Finalement qu’est ce qui restera de cette manifestation du 8 mars ? Déroulons le fil de la cohérence : une journée de la femme, certes, mais pas pour toutes. Une journée de la sororité, bien sûr, mais de rejet aussi. Un 8 mars de la tolérance où l’on tolère l’intolérance, un 8 mars de solidarité où l’on est solidaire les uns en excommuniant les autres, les juives. Que c’est beau ! Que c’est grand ! Que c’est lumineux ! En réalité de cette journée du 8 mars, il ne restera pas plus que ce que nous dit la Députée Caroline Yadan : « La haine se nourrit d'indifférence et de renoncements. Comment les féministes qui ont défilées hier ont-elles pu laisser plus de mille d'entre elles, parce que juives, être ostracisées et mises à l'écart de la manifestation censée représenter toutes les femmes du monde sans discrimination ou distinction en fonction des origines ? Par cette mise à l'écart, on a voulu invisibiliser les femmes victimes du pogrom sans précédent du 7 octobre, qui ont été torturés, mutilées, violées et assassinées. L'indignation ne peut pas être à géométrie variable. L'universalisme doit être notre boussole pour le passé, le présent et l'avenir. »

 

En mémoire d’Ester. Hag Pourim Samea'h !

 

Eden Levi Campana