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Dans un article du « Canard Enchaîné » du 7 Août dernier, intitulé « L’Insoumis qui fait la leçon à Castets », le journal cite Lucie Castets, candidate du Nouveau Front Populaire au poste de Premier Ministre : « Il faut que les expatriés fiscaux paient leurs impôts au fisc français, comme le font les expatriés américains vis-à-vis du fisc des USA ». Et « Le Canard Enchaîné » de se moquer de cette velléité d’imposer l’impôt universel aux Français résidant hors de France, car Eric Coquerel (LFI), président de la Commission des Finances, avait déclaré peu après au « Figaro » : « Un impôt basé sur la nationalité et non sur la résidence est absolument impossible en France. Cela change totalement la philosophie de notre fiscalité et il faudrait donc renégocier les dizaines d’accords bilatéraux que l’on a avec les autres pays du monde. Sauf que l’on est capables de faire à peine trois accords par an ».
Voici ci-après les dessous de cette déclaration bien prudente quand on connaît le personnage et les tentations du parti LFI.
Remontons un peu le temps. Le 17 Septembre 2019, Eric Coquerel dépose, avec le député Jean-Paul Mattéi (MoDem), un rapport parlementaire sur l’impôt universel. Début octobre, lors de la session de l’Assemblée des Français de l’étranger, la Commission des Finances auditionne Eric Coquerel qui lui annonce le dépôt d’amendements LFI-MODEM sur ce sujet. Membre de la Commission des Finances à l’Assemblée des Français de l’étranger, j’avais analysé le rapport Coquerel-Mattéi pour la Commission. Si ce concept d’impôt universel revient souvent dans les discours de la classe politique, je savais que la France, comme tous les Etats, impose les particuliers à partir du critère de territorialité. Seuls les Etats-Unis, l’Erythrée et le Myanmar, appliquent l’impôt universel basé sur le critère de nationalité, que les citoyens résident ou non sur le territoire national.
Que prône alors le rapport Coquerel-Mattéi ? 11 propositions que je critique vivement devant la Commission en présence d’Eric Coquerel :
- la proposition n° 1 préconisait un élargissement des critères de résidence fiscale qui se heurtait au principe de territorialité de l’impôt sur les personnes physiques et aurait exigé la modification de l’a.4B du CGI, nécessitant la renégociation des 128 conventions fiscales (aujourd’hui 129) signées par la France ;
- la proposition n° 2 réclamait une définition juridique de l’exil fiscal et des pays à fiscalité privilégiée. Or depuis de nombreuses années, l’OCDE a établi des listes noire et grise de « pays non coopératifs ». De même, l’ECOFIN (Conseil pour les Affaires économiques et financières de l’Union Européenne) a établi sa propre liste, comme le FMI et la France ;
- la proposition n° 3 voulait créer un mécanisme fiscal pour les Français résidant dans les « pays à fiscalité privilégiée » pour une durée se situant entre 5 et 10 ans. Cette proposition aurait été légitime à condition que cette imposition cesse dès que les non-résidents règleraient des impôts dans leur pays de résidence. De plus, un mécanisme existe déjà puisque le Prélèvement à la Source peut être utilisé par la Direction des Impôts des Non-résidents en ce sens ;
- la proposition n° 4 invitait à instaurer une « contribution au pacte républicain pour les Français dont la résidence fiscale est située à l’étranger et dont les revenus excèdent 200 000 euros ». Cette proposition instaurait de facto un impôt différentiel sur la nationalité ;
- la proposition n° 5 recommandait d’étudier la possibilité de créer pour chaque citoyen ayant bénéficié des services publics et des infrastructures de la France pendant une certaine période de sa vie un « prêt citoyen » qu’il devrait rembourser sous certaines conditions en cas de changement de résidence fiscale « sans raisons légitimes » et d’un seuil de revenus de + de 100 000 euros. L’administration devrait enquêter sur les « raisons légitimes » d’expatriation des Français de l’étranger sans qu’ils aient commis le moindre délit ! Cette disposition violait nos libertés fondamentales.
Quand on réfléchit aux « raisons légitimes » d’expatriation de certains Français, suite à la récente campagne antisémite mise en œuvre par LFI lors des élections d’européennes et législatives en France, on ne peut que se souvenir de ce rapport Coquerel-Mattéi avec colère et amertume ;
- la proposition n° 6 ambitionnait d’adopter un mécanisme permettant d’imposer les Français non-résidents sur leurs revenus de source française, y compris sur leurs revenus perçus à l’étranger ! Ce qui revenait à créer un impôt sur la nationalité. Les propositions 4, 5 et 6 étaient inapplicables, eu égard aux conventions fiscales signées par la France ;
- la proposition n° 7 souhaitait une renégociation des conventions fiscales. Ce qui impliquait la bonne volonté des 128 Etats déjà signataires, les temps de négociations, de ratifications et d’application des nouvelles conventions ;
- la proposition n° 8 suggérait un retour au régime de l’exit tax prévalant avant 2019 sur les plus-values latentes lors du transfert par les contribuables de leur domicile fiscal hors de France, ce alors même que le gouvernement avait allégé ce dispositif perçu comme un signal négatif donné aux entrepreneurs et aux investisseurs !
- la proposition n° 9 permettait à l’administration fiscale d’identifier les Français fiscalement établis à l’étranger. Cette proposition était de nature « à faire peser un doute sur le respect deslibertés fondamentales », comme le reconnaissait le rapport Coquerel-Mattéi ;
- la proposition n° 10 exigeait la mise en place d’un registre mondial des titres financiers, avancée par les économistes français Thomas Piketty et Gabriel Zucman. Ce registre recenserait l’ensemble des titres financiers détenus par les ménages. Il permettrait de limiter le blanchiment d’argent, les délits d’initiés et le financement du terrorisme. Si ces objectifs étaient louables, l’on voit bien la difficulté de contraindre tous les Etats à créer un registre national, à accepter de connecter tous les registres financiers entre eux et à créer une autorité qui contrôlerait ces registres. Rappelons que l’OCDE et l’Union Européenne ont créé des dispositifs assez semblables. Au sein de l’OCDE, plus de 90 juridictions échangent déjà des informations de manière automatique depuis 2014.
- la proposition n° 11 appelait à renforcer les moyens de contrôle fiscal de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) et de la Direction des impôts des non-résidents (DINR), proposition en contradiction avec le souci d’économies budgétaires voulu alors par le gouvernement.
Devant la Commission des Finances, j’ai conclu alors en signalant à Eric Coquerel que sa volonté d’imposer les Français résidant hors de France violait le droit fiscal français et le droit international. Il avait prévu de donner une conférence de presse pour présenter ses amendements sur le sujet. Il n’y eut pas de conférence de presse et pas d’amendements foutraques sur l’imposition des Français de l’étranger.
Tel Nessie, le célèbre serpent de mer du Loch Ness, l’imposition des Français de l’étranger revient à chaque élection et à chaque crise politique. Faut-il le rappeler ? Les Français résidant hors de France n’ont pas droit aux prestations sociales et paient souvent des impôts en France et dans leur pays de résidence. Restons vigilants, aujourd’hui comme hier. Les Français résidant hors de France font toujours de bons boucs-émissaires en période d’instabilité politique. Veillons à ce que les politiques ne perdent pas le sens commun.
Daphna Poznanski-Benhamou
Conseillère à l’Assemblée des Français de l’étranger (circonscription d’Israël)
Membre du Bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger
Membre de la Commission des Finances, de la Fiscalité et du Budget