Il y a eu les vies fauchées à la tractopelle. Vous en souvenez-vous ?
Il y a eu les vies fauchées par des kamikazes dans des bus, des cafés, des restaurants, des boites de nuit. Vous en souvenez-vous ?
Il y a eu la famille Fogel fauchée. Le père, la mère et trois de leurs six enfants, la dernière à peine âgée de trois mois. Vous en souvenez-vous ?
Il y a eu les vies fauchées par des couteaux. Par des haches. Vous en souvenez-vous ?
Il y a eu les vies fauchées par des tirs à bout portant sur des familles revenant d’une pacifique randonnée. Vous en souvenez-vous ?
Il y a eu aussi la vie fauchée de Esther Horgen qui faisait son jogging et dont la tête a été fracassée à coup de pierre. Vous en souvenez-vous ?
Les voitures béliers, les colis piégés, les lynchages, les passages à tabac, les pierres qui s’abattent sur une voiture causant l’avortement prématuré d’une future maman paniquée.
Et les roquettes, les obus de mortiers, dispensés avec minutie mais régularité, histoire de ne jamais faire cesser le supplice des alertes, et le traumatisme continu de nos frères et sœurs du Sud.
La terreur est devenue une composante de notre vie, comme un orage ou une vague de canicule.
Un news sur un site internet, 2 minutes dans un journal télévisé. Plus tard, une déclaration pour nous expliquer que l’armée et la police ont arrêté le monstre en question. Et puis la vie qui continue, qui doit continuer.
Sous prétexte de résilience, nous avons intégré la douleur et la peur. La colère et la tristesse. Nous avons pris « l’habitude » de nous faire assassiner encore et encore. « Pas tous les jours » bien sûr comme me faisait remarquer une amie de Tel Aviv. Non bien sûr pas tous les jours, seulement de temps en temps. Donc pas si grave en fait…
Le nœud s’est resserré peu à peu autour de notre gorge sans que nous y prêtions attention. Pour apaiser l’angoisse, il y avait la start-up nation, les beaux hôtels, le combat « existentiel » pour une soi-disant démocratie en danger, les technologies, les accords d’Abraham.
Le réveil est dur. Tel un accro aux somnifères que l’on oblige à émerger de sa léthargie, nous devons aujourd’hui revenir aux fondamentaux. Nous sommes un micro-pays entouré d’ennemis puissants, organisés, préparés qui n’ont jamais oublié leur ambition de nous jeter à la mer.
Pendant la Shoah, seuls les pessimistes ont sauvé leur vie. Être juif nous oblige à garder l’espoir tout en anticipant. Les preuves ont toujours été là. Il suffit de lire les déclarations que les tyrans barbares publient sans aucun complexe depuis des années.
Nos valeurs humanistes ne doivent pas prendre le dessus sur le devoir que nous avons de défendre la vie de chaque citoyen israélien, et au-delà, de conserver ce pays suffisamment fort afin qu’il représente à jamais une terre d’accueil pour tous les Juifs du monde.
Anne-Caroll Azoulay