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Frédéric Encel : « L’Iran est dirigé par des fanatiques et non par des imbéciles »

4 minutes
29 juin 2023

ParIsraJ

Frédéric Encel : « L’Iran est dirigé par des fanatiques et non par des imbéciles »

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ntretien publié dans Actualité Juive numéro 1692

 

Le géopolitologue Frédéric Encel nous propose une version actualisée de son magnifique ouvrage Petites leçons de diplomatie. Ruses et stratagèmes des grands de ce monde à l’usage de tous (Autrement, 2023).
Au moment où les tensions internationales sont vives, cet ouvrage intelligent permet de plonger dans les arcanes du pouvoir dans un style parfaitement intelligible. Rencontre.

 

Dès le début de votre livre, vous expliquez que la diplomatie fonctionne de mieux en mieux et toujours plus vite si on adopte un temps long. Le conflit russo-ukrainien constitue-t-il un contre-exemple ?
Frédéric Encel: Non, pas du tout. Même si depuis 15 mois, on est obnubilé à juste titre par le conflit russo-ukrainien, il ne faut pas se laisser tromper : tendanciellement, le monde connaît beaucoup moins de conflits ces dernières années, et encore moins qu’au siècle dernier. Votre première leçon est titrée « Ne jamais mésestimer les autres… ».

 

Comment expliquez-vous que Vladimir Poutine soit tombé dans ce « piège » ?
F.E.: Par le fait que sa variable de décision est idéologique et non pas pragmatique. Une idéologie qu'il s’est lui-même confectionnée, à la fois viriliste et impérial, alimentée d’une paranoïa anti-occidentale et qui lui a fait croire
que l’Europe et les États-Unis ne lui résisteraient pas ; qui lui a fait penser qu’il n’existait pas de conscience  nationale ukrainienne. Ce n’est pas par folie ou stupidité que Vladimir Poutine s’est fourvoyé mais par idéologie. Et, en effet, il ne faut jamais mésestimer – sur ou sous – les acteurs de son écosystème.

La leçon « Se montrer menaçant » revient sur le fait que Benyamin Netanyahou alerte depuis 2012 sur le risque nucléaire iranien. Pensez-vous qu’Israël va bientôt agir militairement sur ce dossier ?
F.E.: Et même depuis 2009! La République islamiste d’Iran sait parfaitement qu’Israël ne lui laissera pas la possibilité de disposer d’une capacité de frappe nucléaire qui représenterait un danger stratégique et vital pour
l’État juif. L’Iran est dirigé par des fanatiques et non par des imbéciles. En Occident, on a tendance à confondre les deux. Le régime des mollahs – barbare sur les questions sociétales – reste prudent en matière d’affaires
étrangères et de défense par rapport à Israël. À Téhéran, on souhaiterait d’abord échanger l’idée de la bombe nucléaire contre la levée des sanctions qui appauvrissent le pays. L’objectif principal de l’Iran est de se maintenir en place.
Or, la bombe ne se mange pas ! Si le régime islamiste, déjà confronté régulièrement à des révoltes sociales, souhaite améliorer la situation économique, c’est en maintenant cette épée de Damoclès (en carton) qu’incarne l’enrichissement de l’uranium. Netanyahou a eu raison de brandir la menace iranienne pendant 10 ans pour obtenir de la part de Washington de nouveaux matériels stratégiques et militaires (comme des bombardiers). Pour le Premier ministre israélien, c’est faire d’une pierre deux coups : renforcer considérablement le
rapport de force général d’Israël et démontrer aux mollahs qu’il n’est pas question de plaisanter avec la menace nucléaire. On peut d’ailleurs noter que les coups de force contre le matériel et les ingénieurs iraniens se
développent…

Au cours de cet ouvrage, vous évoquez à plusieurs reprises le génocide rwandais. Pensez-vous qu’il faudrait davantage l’étudier ?
F.E.: Incontestablement, oui! D’une part parce qu’à l’époque, au moment de l’avènement de ce génocide en 1994, il est passé un peu inaperçu. À cause de la distance – du «kilomètre-émotion» – mais aussi parce que l’actualité
géopolitique était dominée par la prise de pouvoir de Nelson Mandela en Afrique du Sud ou encore par la guerre en ex-Yougoslavie.
Ajoutons que l’Élysée ne tenait pas à ce que sa politique calamiteuse des trois années précédentes soit commentée. Le président Mitterrand et son entourage – comme l’illustre parfaitement le rapport Duclert et de nombreux documents et témoignages – ont en effet mené une politique qui se solda par un véritable naufrage
moral et géopolitique. D’autre part, il est d’autant plus important de travailler sur le troisième grand génocide du XXème siècle, celui des Tutsi, qu’il a fait l’objet d’un négationnisme d’État plusieurs années après sa perpétration
et qu’il présente des caractéristiques semblables avec la Shoah.

 

Un dernier mot autour de cet ouvrage ?
F.E.: Oui, par ce 17ème ouvrage, j’ai tenu à réaffirmer que la géopolitique est une discipline humaine, qu’elle
doit donc rester à visage humain et ne jamais coïncider avec le cynisme qui a le faux-nez de la realpolitik.

Propos recueillis par Eric Keslassy

Entretien paru dans Actualité Juive numéro 1692

 



 

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