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RADIOS JUIVES, 40 ANS DÉJÀ… ! Par Béatrice Nakache

13 minutes
23 mars 2020

ParIsraJ

RADIOS JUIVES, 40 ANS DÉJÀ… ! Par Béatrice Nakache

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Nous les avons écoutées chaque jour des années durant. Les rendez-vous étaient pris, les voix étaient familières et nous rassuraient en temps de crise en Israël ou en France. Nous ne nous sentions pas isolés dans l’inquiétude qui, parfois, nous rongeait sur tel ou tel sujet, guerres, attentats, polémiques… Mais c’était aussi des joies, des chansons israéliennes, des artistes, tout ce que la communauté juive porte en son sein de talents, dans tant de domaines. Depuis 1981, pour l’Ile-de-France, ce sont quatre radios, Radio J, Judaïques FM, Radio RCJ et Radio Shalom qui se partagent la fréquence 94.8 FM. Neuf radios sont installées en région. Pour ceux qui ont fait leur alyah, sachez que cette belle histoire se poursuit  activement, et également sur le net !
Mosaïques a rencontré certains acteurs essentiels de ces médias juifs.

Par quel miracle sont nées les radios juives de Paris ?
Les débuts des « dinosaures »

C’est François Mitterrand qui avait eu dans les années 80 l’idée de libérer la bande FM et donné la possibilité à des radios de toutes sortes de voir le jour. On appelait ça à l’époque des radios locales, ou radios libres.

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Radio J fut créée en premier, la première émission ayant été diffusée le 17 juin 1981. Serge Hadjenberg en fut le président fondateur et Guy Rozanowicz le co-fondateur. Une dizaine de bénévoles ont participé à son lancement.
Radio RCJ (Radio Com. Judaïque FM) a vu également le jour en 81 et s’appelait à l’époque Radio Communauté. C’est un média du Fonds social juif unifié, plutôt conservateur.
Presque simultanément sont apparues Judaïques FM et Radio Shalom, dont les tendances étaient alors nettement plus à gauche.

Nous avons rencontré Nellu Cohn, l’un des pionniers de Radio J, mais aussi réalisateur de documentaires (Tel-Aviv live, et le Pogrom de Iasi), photographe, et l’auteur d’un magnifique livre sur l’armée israélienne intitulé Tsahal.
Il raconte ses débuts à Radio J : « J’ai commencé en 1985, d’abord en tant que bénévole, et à partir de 1987 j’ai pris la direction des programmes. Ça a toujours été une activité très importante dans ma vie. » Aujourd’hui Nellu Cohn est directeur d’antenne sur Radio J, il gère les programmes, les relations avec les bénévoles, les opérations avec les professionnels, les opérations extérieures, le recrutement des journalistes ...

Dernièrement Mosaïques a rencontré Shlomo Malka à Jérusalem. Il faisait partie de l’équipe de Presse qui accompagnait le président Emmanuel Macron à l’occasion des 75 ans de la libération d’Auschwitz. Parallèlement à ses intenses activités à la radio, il a été directeur du magazine L'Arche, a collaboré à de nombreux journaux comme La Vie, Le Monde des religions, et Marianne. Il est également auteur de nombreux essais, le dernier en date étant Dieu, la République et Macron. (Ed. Cerf). Il évoque la création de radio RCJ avec nostalgie : « J’ai fait partie des fondateurs de la radio juive au début des années 80, j’en ai été le vice-président et directeur d’antenne pendant très longtemps, j’y suis resté 35 ans. »  On se souvient du bulletin d’information de Shlomo Malka à 12h30 chaque jour, et de sa voix bien spécifique, très calme et basse. Aujourd’hui il anime une émission littéraire sur Radio J intitulée « Pont Neuf ».

Radio Shalom, a été créée par la Fédération des Juifs de France, par réaction à l’attentat de la rue Copernic. Elle a été longtemps animée et financée par l’homme d’affaires marocain, Robert Assaraf. Bernard Abouaf, son président, raconte comment il est arrivé en 1989 : « Après 4 ans d’études en Israël, je suis rentré en France et j’ai intégré l’UEJF. Albert Mallet, fondateur de Radio Shalom, m’a contacté pour travailler à Radio Shalom. Je suis resté journaliste un an il m’a nommé très vite directeur de la rédaction. Et j’en fais toujours partie ! »
Entre 2012 et 2014, la radio a connu une crise interne, suite au retrait de Robert Assaraf qui en a confié la gérance à Roger Assaraf. Le 6 octobre 2016, l’équipe de la radio obtient que la justice consulaire privilégie un plan de reprise de la radio par les salariés à la suite d'un redressement judiciaire, et qu’ils prennent la direction de la radio.
Depuis, les journalistes Bernard Abouaf et Pierre Gandus en sont les co-directeurs.

Judaïques FM a commencé à émettre en octobre 1981 grâce à Michel Zlotowski, Jacques Sayag et Vladimir Spiro. Elle est actuellement présidée par Raphy Marciano.

 

Et politiquement, c’est gauche toute ou droite toute ?

La ligne éditoriale de Radio Shalom a toujours été étiquetée de gauche. Elle était reconnue comme la « voix de la paix pour le soutien au processus de paix et pour le dialogue inter-religieux », à présent les tendances politiques s’estompent, son slogan a changé, il est devenu : « La radio qui vous écoute ».    

Alexis Lacroix, directeur des rédactions de Radio J et Judaïques FM depuis quelques mois, brillant journaliste, essayiste, animateur radio, auparavant directeur délégué de la rédaction de l’Express, nous explique comment il gère ces deux radios traditionnellement différentes, initialement Radio J plutôt de droite et Judaïques FM tendance gauche. Aujourd’hui, depuis la reprise de ces deux radios par Dominique Romano et Marc Eisenberg - homme d’affaires, président de l’Alliance israélite universelle et fondateur de Qualita, association israélienne d’aide aux olim de France - et l’arrivée de nouvelles recrues, elles sont en pleine mutation.
Alexis Lacroix précise : « Radio J est une radio plus conservatrice et qui place la religion à un niveau plus essentiel, et Judaïques FM, sous l'impulsion de son président Raphy Marciano, a récemment enrichi sa tradition laïque de nouveaux programmes religieux. De plus, des voix israéliennes proches de positions travaillistes ou centristes sont en cours d'installation sur Radio J, sans rien changer aux tropismes traditionnels de la station.

"L'heure de l'ouverture et du décloisonnement a sonné, nous devons rassembler, réunir, refédérer", explique Lacroix.

Il ajoute : "Au-delà de leurs sensibilités historiquement différentes, il prévaut évidemment sur ces deux antennes un consensus sioniste évident. Ce qui frappe, c'est la grande complémentarité entre ces deux radios. »


Bernard Abouaf


 

Les radios juives de province ont-elles voix au chapitre ?

Pour coordonner et partager les infos des radios parisiennes entre les grandes villes de Province : Lyon, Strasbourg, Grenoble, Marseille, Nice, Montpellier, Toulouse, Dijon et Besançon, Richard Benitah, lyonnais, a eu l’idée de fonder l’ARJ, Association des Radios Juives de France et de Bruxelles en 1995, dont il est le président. L’idée était la suivante : reprendre les journaux qui était fabriqués par les quatre radios juives de Paris afin de leur permettre d’avoir des informations internationales, et spécifiquement sur Israël, que ces régions n’avaient pas les moyens de se procurer.
Il raconte la traversée des époques à travers l’évolution des technologies : « Dans les années 90 on a commencé par faire des liaisons téléphoniques, et chaque ville écoutait quasiment en permanence ce qui provenait des radios. Ensuite on est passé par le satellite. On avait installé sur le toit des radios des paraboles, et on recevait les infos en direct. Enfin est arrivée l’ère de l’Internet et aujourd’hui on dispose carrément d’un réseau par des lignes Internet sophistiquées qui permet aux radios juives de France de recevoir le flux des informations qui se diffusent sur la fréquence juive parisienne.
Comme pour Paris, le public vient vers ces radios pour trouver une spécificité juive dans les domaines de l’information, de la culture, par de nombreux programmes riches et variés. Il représente une grosse communauté non négligeable et répartie sur la France.

Finalement, quel public pour les radios juives ?

Selon Nellu Cohn, une radio juive s’adresse au public juif bien évidemment, mais aussi à de nombreux non-juifs : « Sur Radio J, nous nous efforçons d’apporter ce que d’autres médias n’apportent pas. Nous mettons l’accent sur l’information, car on sait très bien qu’il y a un problème de ce côté-là dans les radios généralistes concernant Israël, l’antisémitisme, la communauté.
« Par exemple concernant l’affaire Sarah Halimi, nous avons été les premiers à dire qu’il s’agissait d’un crime antisémite.
De même pour Ilan Halimi, l’opinion parlait au départ de « crime crapuleux ». Nous avons tout de suite compris qu’il n’en était rien. L’assassin s’est adressé à Ilan, de famille « juive, donc riche », et donc c’était bien un crime antisémite.
Lorsque l’on ne peut pas se promener dans la rue avec une Maguen David ou une kippa sur la tête, il ne s’agit pas seulement d’un « sentiment » d’insécurité. Donc si des médias comme les nôtres ne le disent pas haut et fort, alors pourquoi sommes-nous là ? ».
On ne peut ignorer la soif de la communauté juive française pour une information réelle et non biaisée sur ce qui se passe en Israël. On a souvent reproché aux médias généralistes de traiter l’information par ce que l’on appelle « la désinformation ». Les radios juives sont là pour informer de façon plus fiable.


Alexis Lacroix


Pour Alexis Lacroix, Radio J et Judaïques FM sont marquées par l’empreinte du judaïsme au sens large, mais s’adressent également à des auditeurs qui n’appartiennent pas forcément à la communauté et sont régulièrement intéressés par les talk-shows.
« La ligne éditoriale que l’on met en œuvre avec Marc Eisenberg consiste à monter en gamme, sur le plan de la réflexion, du débat, de la culture, avec un recrutement de nombreuses signatures françaises et israéliennes, telles que Alain Finkielkraut, Georges Bensoussan, Bernard-Henri Lévy, Elie Barnavi, Ilan Greilsammer, Nadia Ellis, Éliette Abécassis ou encore Emmanuel Navon… Mais ce n’est pas tout, nous devons aussi resserrer le lien vital de nos auditeurs avec Israël. Nous avons créé un ZOOM ISRAEL confié à Pascale Zonszain ou encore Israel Start up nation présenté par Daniel Rouach, etc. Enfin, l’équipe info de la rédaction a été renforcée, car le traitement de l’actualité politique et géopolitique avait besoin d’évoluer ».
Bernard Abouaf affirme que la communauté juive a un grand besoin d’être entendue, et a beaucoup de questions. « Nous sommes très clairement une radio juive et une radio populaire, ce qui n’empêche pas la qualité. Une radio se doit d’être accessible dans toutes les voitures, les maisons, les téléphones, les ordinateurs... Nous avons notre site et également une application. »
Quant aux radios locales, de province, ce sont des radios de proximité proches de leur auditorat, mais pas seulement de la communauté juive. En province, on estime que 70 % de l’auditorat est interne à la communauté, et 30 % externe. Le public est constitué de personnes entre 20 et 80 ans, et il y a de tout : des médecins, des ouvriers, des intellectuels, des mères de famille, des retraités, qui sont en recherche permanente de programmes adaptés.

Un pont entre Israël et la France ?

Comme le confirme Bernard Abouaf, tous les journaux commencent par Israël, et même lorsqu’il s’agit des gilets jaunes par exemple, c’est avec une sensibilité qui parle aux gens : « Par exemple lorsqu'Alain Finkelkraut s’est fait insulter dans la rue par un gilet jaune, on savait qu’un jour ou l’autre ce genre d’incident se produirait. »
De l’avis général, ce que le public attend d’une radio juive, c’est surtout l’information sur Israël. Bernard Abouaf ajoute : « La communauté française juive est la seule communauté, je crois, dans le monde qui vit à l’heure d’Israël. Personnellement, je peux passer une journée entière à traiter des sujets sur Israël, écouter de la musique israélienne, et finalement le soir c’est comme si j’y avais passé la journée ! La communauté juive de France vit complètement au diapason d’Israël. Beaucoup de gens ont soit des enfants, soit des parents en Israël, soit partagent leur vie entre Israël et la France, et ont besoin d’être informés chaque jour sur ce qu’il s’y passe, et les francophones d’Israël ont également la possibilité de suivre les news par le biais de notre site et de notre application. »

Nellu Cohn


Les critères du bon animateur ?

Nellu Cohn anime régulièrement une émission sur la culture, et pour lui, lorsque l’on fait ce métier, il faut tout d’abord savoir s’intéresser à l’autre, faire preuve d’empathie, bien accueillir : « Je ne reçois pas les gens dont je n’apprécie pas le travail, si j’invite quelqu’un, c’est que j’aime ce qu’il fait, et j’ai envie de l’aider dans sa promotion. Il faut savoir arriver avec des questions, mais aussi rebondir sur les réponses, essayer d’approfondir, de surprendre, dans le bon sens, c’est-à-dire encourager l’invité à dire des choses qu’il n’a pas dites ailleurs. »

Alexis Lacroix anime une émission sur la politique israélienne qui s’appelle Greisalmer talk, un talk-show créé en septembre on refait la semaine sur Radio J, une chronique hebdomadaire sur les États-Unis avec André Caspy, il est également responsable depuis un an de l’émission politique de Judaïques FM intitulée Affaire publique qui est une réflexion sur la vie de la cité avec des personnalités politiques et intellectuelles.
Selon lui, « un animateur radio doit avoir une présence qui se manifeste notamment par sa voix, il lui faut avoir une vaste culture, et puis s’intéresser beaucoup à Israël et au monde juif dans sa globalité. C’est pourquoi on veille aujourd’hui à faire venir des personnes qui répondent à ces trois critères. Et surtout ne pas être dans un agenda idéologique. Voyez les présentateurs qui utilisent les radios pour mener des combats politiciens, pour rouler pour Netanyahou ou pour rouler pour Gantz cela ne va pas. Ce n’est pas la bonne démarche. »

Quant au président de Radio Shalom, Bernard Abouaf, il ne mâche pas ses mots : « Déjà le vrai défaut à éviter c’est d’avoir la grosse tête. Les animateurs sont des gens qui ont des personnalités fortes, c’est comme un avant-centre dans une équipe de foot. Il faut qu’il ait une forte personnalité, mais il faut qu’il comprenne que ça ne doit pas devenir un handicap pour lui. À la fois parce qu’il continue à faire partie d’une équipe, et il doit également retenir l’attention de l’auditeur, sans trop s’écouter. Par exemple, quand on écoute Marc Scalia, on écoute surtout « la musique » de Marc Scalia, et ça, fort de son expérience sur NRJ, il le fait très bien.

Finalement, ces quatre radios cohabitent de façon plutôt saine, chacun son rôle, sa tendance, et son public…

Shlomo Malka


Et l’avenir, la vie en rose ou…

Shlomo Malka pense que le public a changé, les besoins ne sont plus les mêmes, l’existence de I24 news a modifié le paysage des médias juifs.
« Nous avons accompli de belles et grandes choses à la fois en termes professionnels, d’information, de culture, de services aux auditeurs, et j’ai le sentiment que c’est une page qui se tourne aujourd’hui. On a perdu une partie du noyau dur de nos auditeurs et il faut la reconquérir. »
« Les réseaux sociaux jouent un rôle non négligeable, même si ce n’est pas toujours à bon escient. Il serait bon aujourd’hui de sortir des sentiers battus et d'inventer des nouvelles formes. Les problèmes des Juifs dans le monde d’aujourd’hui sont partout les mêmes. Chaque pays les traite à sa façon et chaque pays doit les affronter à sa façon.
Il faut un média qui aborde les problèmes de tous les Juifs à travers le monde et qui traite également de chaque pays, chaque communauté, individuellement. »

 

 

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