Société

Un Papa, une Maman, quatre parents

4 minutes
9 février 2020

ParIsraJ

Un Papa, une Maman, quatre parents
Thousands of people take part in the annual Gay Pride Parade in Jerusalem, on June 6, 2019. Photo by Yonatan Sindel/Flash90 *** Local Caption *** מצעד הגאווה\nלהטב\nאבטחה\nמשטרה\nבידוק בטחוני

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Alexis l'a toujours su. Depuis l'adolescence et les premiers émois. Seulement, dans une famille juive plutôt traditionnaliste, ces choses-là se vivent dans un secret coupable. "Je me sentais attiré par les hommes et pas par les femmes. C'était la mode des chippendales, je les regardais à la télévision. J'avais l'impression d'être le seul au monde à vivre cela".

Alexis est alors parfaitement intégré au sein de la communauté juive. Il fréquente le mouvement de jeunesse Bné Akiva et songe déjà à s'installer en Israël. A dix-huit ans, il saute le pas. Sa famille d'accueil le destinait a priori à un tout autre chemin : l'oncle maternel, un communiquant politique, fait partie du premier cercle du Mafdal, le parti sioniste religieux. Une kippa tricotée sur la tête, Alexis s'immerge dans la pratique joyeuse d'un judaïsme orthodoxe et sioniste. "Je baignais là-dedans. Quand je suis rentré à Pessah j'ai même fait changer toute la vaisselle à ma mère", sourit-il aujourd'hui.[ihc-hide-content ihc_mb_type="show" ihc_mb_who="reg" ihc_mb_template="1" ]

A ce stade de sa vie, Alexis voit dans ses tendances particulières un "obstacle" à surmonter, une "épreuve" venue d'en-haut. Et en toile de fond, un profond sentiment de solitude. Car en ce milieu des années 90, on n'entre pas aisément en contact avec la communauté homosexuelle lorsqu'on est un juif pratiquant. Puis vint Internet et ses sites de rencontres spécialisés. Dès la première visite, Alexis réalise que des centaines d'autres jeunes israéliens partagent les mêmes désirs et connaissent les mêmes tourments. A cette époque, il fréquente une jeune femme depuis six mois et se décide à assumer.

(Photo by Yonatan Sindel: Illustration. Article de Stéphane Amar)

La sortie du placard sera retentissante. Elle prend l'allure d'une fin de repas explosive, façon Festen. "Je parlais au téléphone avec mon copain de l'époque. Ma mère me demande avec qui je parle. Je lui dis. Et là ça s'est très mal passé". Affligée, triste, honteuse, la mère d'Alexis lui suggère d'entamer un traitement psychologique. Elle se propose de l'aider à s'en sortir. Lui n'a plus aucun doute sur le caractère définitif de son choix. C'est la rupture.

La décennie suivante sera émaillée de fâcheries et de timides rapprochements. Alexis se voit écarté du mariage de son frère à cause d'un look peu conforme. Sa mère tente de surmonter sa détresse en niant l'évidence. Seul son père accepte sereinement son choix. "C'était un ashkénaze qui avait connu la guerre, il relativisait à peu près tout".

Paradoxalement, le rapprochement viendra d'une nouvelle étape franchie par Alexis :  deux enfants conçus grâce à une amie lesbienne, il y a six et quatre ans. Scolarisés à Tel-Aviv, ils vivent en alternance entre les deux couples homosexuels. "Ils ont un seul papa, une seule maman mais quatre parents", résume Alexis. Sa mère a accueilli avec joie les enfants et les entourent d'une immense affection mais pas question pour elle d'entretenir un rapport normal avec Eden, l'ami d'Alexis. "Le carcan marocain je le sens très bien, s'agace le quadragénaire, elle continue la politique de l'autruche".

Gérant de plusieurs magasins d'optique à Tel-Aviv et dans sa banlieue, Alexis occupe une place particulière au sein de la communauté homosexuelle de la célèbre ville gay-friendly. "J'ai longtemps été le religieux parmi les homos", s'amuse-t-il. Il porte un regard nuancé sur la polémique autour des thérapies de conversion et n'approuve pas forcément la tenue de la gay pride à Jérusalem. Mais des années de tensions avec sa famille, le conflit entre ses tendances et le texte biblique et surtout les propos incendiaires de certains rabbins sur l'homosexualité l'ont lentement éloigné de la pratique du judaïsme. S'il a tenu à circoncire son fils, il néglige aujourd'hui la plupart des commandements.

Trente ans de tourments, de doutes, de petits secrets et de grandes révélations. La vie d'Alexis, à l'instar de tant d'autres homosexuels religieux, n'est pas des plus simples. Aujourd'hui, il dégage un équilibre rudement acquis. "Je n'en veux pas à Dieu de m'avoir fait ainsi même si cela n'a pas toujours été simple. Mais je demande simplement à mon entourage d'enfin m'accepter comme Dieu m'a fait".[/ihc-hide-content]