Tribune

Un peu de hitbodedout sous les étoiles, le vacarme passera - Par Eden Levi Campana

Le 8 mai la rabbine Delphine Horvilleur a soufflé sur les braises d’une implosion : dénonçant dans une tribune la « déroute politique » de l’État hébreu. Anne Sinclair, Johan Sfar, Marc Knobel, d’autres encore ont suivi.

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15 mai 2025

ParGuitel Benishay

Un peu de hitbodedout sous les étoiles, le vacarme passera - Par Eden Levi Campana
Photo: IStock

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Le 8 mai la rabbine Delphine Horvilleur a soufflé sur les braises d’une implosion : dénonçant dans une tribune la « déroute politique » de l’État hébreu. Anne Sinclair, Johan Sfar, Marc Knobel, d’autres encore ont suivi. À croire que le Sanhédrin s’est sabordé de l’intérieur. Car soyons clairs, cette tribune est un séisme dans les salons du 16e. Les mots claquent comme des pierres sur les Tables.

À Téhéran, on applaudit. À Paris, chez LFI et leurs acolytes, on savoure cette offrande inespérée : des figures juives médiatiques, enfin, qui accusent Netanyahou à leur place. Le Ahavat Israel ? Brisé. Le klal israel ? Fendu. Une victoire stratégique pour l’adversaire. Et maintenant ? Des pétitions, des tribunes, la mer rouge sur les réseaux sociaux, des articles dans Le Monde (c’est dire), L’Express, Mediapart, HuffPost, France Inter. Le reste du monde s’en fiche, même Trump. La communauté des juifs de France vacille et chacun y va de son grand déballage moral. Entre deux tweets fiévreux et un passage chez Léa Salamé, Ardisson compare Gaza à Auschwitz. Presque drôle. Tellement pitoyable. Une émission du service public, enregistrée. Il ne s’agit pas d’un dérapage en direct mais d’un choix éditorial. Ardisson ? Bof. Lui, qui trouve son bonheur dans l’héroïne et les autres drogues, son avis sur Israël c’est « Kol debourav – harouakh nossé otam – Toutes ses paroles, le vent les emporte ».

En réalité, en période de guerre, avec des otages dans les tunnels, des réservistes qui se préparent au pire, l’unité d’Israël menacée, qu’importent les tribunes ? Le tissu israélien, bien avant le 7 octobre, portait déjà les stigmates d’une déchirure profonde : entre ceux qui prient et ceux qui manifestent, les pros-Bibi et les antis, ceux qui envoient leurs enfants à la guerre et les autres qui prient dans les yeshivot, ceux qui construisent au-delà de la ligne verte et ceux qui les condamnent. Le massacre n’a pas effacé ces fractures - il les a recouvertes d’un voile de deuil que la colère soulève à nouveau, révélant une société écartelée entre douleurs et querelles fondatrices, où même la survie n’offre plus d’accord sur son prix. Et que dire des vrais ennemis ? Que dire d’un keffieh, tenant un drapeau palestinien qui fait un « geste d'égorgement » en direction de Yuval Raphael et des membres de la délégation israélienne ? Un « geste d'égorgement » ? A une rescapée ? Voilà l’ennemi.

Revenons à l’essentiel - Parmi les promesses gravées dans les veines de l’Histoire, peu résonnent avec autant de gravité que celles contenues dans l’idée de Am eḥad - un seul peuple, une flamme unique traversant les siècles. Où en sommes-nous ? La question n’est pas rhétorique. Elle est blessée. Elle pleure dans les plis d’un drapeau souvent trop lourd pour les mains de ceux qui l’ont hérité. Elle interroge notre génération, disloquée par tant de lignes de faille - entre religieux et laïcs, diaspora et Israël, Mizrahim et Ashkénazes, militants et silencieux, HaTIKVAH et colères. Le Am eḥad, s’il est un idéal, semble parfois n’être qu’un soupir perdu dans les ruines du débat public. Et pourtant. Il subsiste dans la tradition juive une notion mystérieuse, presque entêtante, que le Zohar place au centre du dessein divin : Ahavat Israël - l’amour d’Israël. Non pas l’amour de la terre seule mais l’amour des Juifs entre eux. C’est une ahava qui précède le jugement, qui dépasse le mérite, et qui, selon Rabbi Akiva, « est un grand principe de la Torah » (Sifra, Kedoshim). Rabbi Shneur Zalman de Liadi, va plus loin : aimer un Juif, dit-il, c’est aimer D-ieu lui-même, car « chaque âme d’Israël est une étincelle de la divinité ». Ainsi, même le plus éloigné, même le plus dissonant, mérite notre attachement - non parce qu’il est d’accord avec nous, mais parce qu’il est notre frère, porteur du même souffle premier. Ok, cet amour n’est pas naïf. Il ne gomme pas les fractures. Ahavat Israël n’est pas le consensus : c’est le refus du rejet. C’est tendre la main quand l’orgueil veut la retirer. C’est entendre dans la voix de l’autre, si discordante soit-elle, l’écho du Sinaï partagé. C’est comprendre, comme l’enseignait le Maharal de Prague, que la véritable unité ne réside pas dans l’uniformité mais dans l’harmonie des différences. L’époque est polarisante, rude, violente. La tentation est grande d’abandonner cet idéal. Pourtant ce qui nous porte ce sont les larmes de Myriam autant que les chutes d’Aharon, qui font vibrer l’identité hébraïque. Le Rav Kook écrivait dans ses Orot HaKodesh que l’amour inconditionnel d’Israël, même de ses parties les plus blessées, était une condition de la guéoula, la rédemption. C’est donc à nous de choisir. Non pas de choisir entre un tribun et une autre mais de choisir entre la peur et la responsabilité. Entre les mains fermées et les bras ouverts. Lo nitna haTorah ela lekhol Yisraël - la Torah a été donnée à tout Israël. Pas à une faction. Pas à une élite. Pas à ceux qui plaisent. Elle fut donnée à un am, un peuple, eḥad. Et c’est peut-être là le plus grand miracle. Qu’après tant de nuits, tant d’ombres, tant d’exils — nous soyons encore là, à tenter de réparer, de recoudre, d’aimer. Non pas malgré tout. Mais à cause de tout. Pour notre tribune ? Il ne reste qu’une solution, extrême certes mais à la hauteur du crime. Faisons ce que nos aïeux, faisaient en silence, dans une forêt : une bonne tisane, deux respirations profondes, et un peu de hitbodedout (mise à l’écart) sous les étoiles, le vacarme passera.

Eden Levi Campana