À la veille de Yom HaShoah (Jour du Souvenir de la Shoah), le Centre d’étude du judaïsme européen contemporain et l’Institut Irwin Cotler pour la démocratie, les droits humains et la justice de l’Université de Tel-Aviv publient le rapport annuel mondial sur l’antisémitisme. Ce rapport de 160 pages, rédigé par 11 chercheurs, est considéré comme l’un des plus cités et qui fait autorité dans le monde.
Selon le rédacteur en chef du rapport, le Prof. Uriya Shavit, les niveaux d’antisémitisme restent nettement supérieurs à ceux d’avant octobre 2023. Toutefois, contrairement aux croyances répandues, le rapport révèle que la vague antisémite n’a pas été intensifiée par la guerre à Gaza. Le pic a eu lieu entre octobre et décembre 2023, avec une nette baisse constatée dans la majorité des pays un an plus tard. »L’antisémitisme s’est manifesté de façon aiguë au moment où l’État juif semblait plus vulnérable que jamais », estime le rapport.
Le rapport révèle des données particulièrement préoccupantes concernant l’Australie, autrefois reconnue pour sa tolérance et son respect des minorités. Le Conseil exécutif de la communauté juive australienne a recensé en 2024 un record de 1 713 incidents antisémites, contre 1 200 en 2023, une année déjà marquée par une hausse presque triplée par rapport à 2022. Toutefois, entre octobre et décembre 2024, 478 incidents ont été enregistrés, alors que sur la même période en 2023 – immédiatement après le déclenchement de la guerre – on en comptait 827.
Une hausse modérée du nombre d’incidents a été observée aux États-Unis. À New York, la plus grande ville juive au monde, la police a enregistré 344 plaintes pour incidents antisémites en 2024, contre 325 en 2023 et 264 en 2022. Cependant, entre octobre et décembre 2024, seuls 68 incidents ont été comptabilisés, contre 159 durant la même période en 2023.
À Chicago, troisième plus grande communauté juive des États-Unis, la police a recensé 79 plaintes en 2024, contre 50 l’année précédente. À Austin, le nombre est passé de 6 à 15, et à Denver, de 9 à 31. En revanche, dans plusieurs autres villes américaines, une baisse du nombre d’incidents a été constatée.
Au Canada, l’organisation B’nai Brith a documenté 6 219 incidents antisémites en 2024, un nouveau record, contre 5 791 en 2023 et 2 769 en 2022. Malgré cette hausse globale, le pic des actes antisémites a également été observé immédiatement après l’éclatement du conflit : 601 incidents en octobre 2023, contre 427 un an plus tard.
Des augmentations ont également été enregistrées en Argentine, en Suisse, au Brésil et en Espagne entre 2023 et 2024.
Le rapport note aussi qu’une baisse modérée des incidents signalés a été constatée en 2024 dans certains pays comptant d’importantes communautés juives, mais les niveaux restent nettement supérieurs à ceux d’avant-guerre.
Par exemple, en France, on a comptabilisé 1 570 incidents en 2024 contre 1 676 en 2023 (et 436 en 2022). Il est à noter qu’en 2024, les agressions physiques à caractère antisémite ont augmenté : 106 cas contre 85 en 2023. En octobre 2023, 563 incidents avaient été enregistrés en France, contre 157 un an plus tard.
Au Royaume-Uni, 3 528 incidents ont été enregistrés en 2024, contre 4 103 en 2023 (et 1 662 en 2022). Le mois d’octobre 2023 a vu 1 389 incidents, alors qu’en octobre 2024, ce chiffre était tombé à 310.
En Allemagne, 5 177 incidents ont été signalés en 2024, contre 5 671 en 2023 (et 2 811 en 2022). Durant le dernier trimestre 2023, on y a recensé 3 163 incidents, contre 671 sur la même période en 2024.
Une étude incluse dans le rapport, menée par Avi Teich, a analysé le travail des autorités judiciaires à New York, Chicago, Toronto et Londres entre 2021 et 2023. Elle révèle qu’un faible pourcentage des plaintes pour agressions antisémites – parfois moins de 10 % – a donné lieu à des arrestations.
Le Dr Carl Yonker, chercheur principal au Centre d’étude du judaïsme européen contemporain et directeur académique de l’Institut Irwin Cotler, explique: »Il existe des difficultés objectives particulières pour identifier les auteurs de crimes haineux. Dans les cas où il n’y a pas eu d’agression physique, l’un des obstacles majeurs est l’absence de preuves médico-légales. Une autre difficulté spécifique à certains actes antisémites réside dans l’usage de codes ou expressions que seuls ceux familiers avec les discours antisémites peuvent pleinement interpréter. Néanmoins, il est possible de faire beaucoup plus, à condition d’en avoir la volonté. L’éducation et la législation sans mise en application sont dénuées de sens. La lutte contre l’antisémitisme exige un engagement déterminé des forces de l’ordre et des parquets – pas des déclarations grandiloquentes ni des cérémonies de récompenses grotesques avec des stars hollywoodiennes ».
Le rapport inclut aussi un projet intitulé « Cela s’est passé un jour », qui rassemble des témoignages de Juifs victimes d’agressions antisémites aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud. Parmi les incidents décrits : incendie volontaire d’une synagogue, croix gammées dessinées sur des murs, agressions physiques et attaques verbales.